Pour tout ceux qui sont intéressés par la recherche menée par le groupe de Benjamin Wandelt (Cosmology@home), voici un article paru sur 2physics.com, un site d'actualité scientifique qui nous mène aux confins de la physique.

Ben Wandelt

Ben Wandelt [Photo credit: Department of Physics, University of Illinois/Thompson-McClellan Photography]

Rishi Khatri et Ben Wandelt ont récemment proposé une nouvelle technique pour tester la constance de la constante de structure fine à travers le temps et l'espace en utilisant ce qui pourrait s'avérer comme la ressource astronomique ultime en physique fondamentale. Dans cet article, Ben Wandelt explique les motivations de ce travail et l'origine physique de ce trésor d'information.

Auteur : Ben Wandelt
Affiliation : Centre d'Astrophysique Théorique, Université de l'Illinois à Urbana-Champaign

Qu'est ce qui fait que les constantes de la Nature soient si spéciales ? Du point de vue de la théorie, les constantes sont un mal nécessaire qui se doit d'être surmonté. Le modèle standard (modèle mathématique permettant de décrire notre univers) possède 19 « constantes fondamentales », et ce en ignorant la masse non nulle des neutrinos, ce qui porterait leur nombre total au nombre énorme de 25. Ce sont ces 25 constantes qui doivent être mesurées car étant les valeurs de base de la théorie. Une des principales motivation de la recherche d'une théorie fondamentale allant au-delà du modèle standard est d'expliquer les valeurs de ces constantes en termes de structures implicites, bien qu'actuellement non encore observées.

De plus, même la constance des Constantes de la Nature (CdlN) n'est pas garantie [Uzan 2003]. Peut être que les mesures que nous pensons être des constantes sont en fait des variables qui varient si lentement que nous ne l'avons pas observé. Ou même si elles sont constantes dans le temps, ces constantes peuvent varier sur des distances astronomiques.

Au lieu de prendre la constance des CdlN pour acquise, on peut même faire remarquer que ce serait plutôt surprenant. Les théoriciens des cordes nous disent que ces constantes sont liées aux propriétés de l'extension de l'espace, ces petites dimensions au-delà des 4 que nous observons (3 spatiales et une temporelle). Ces propriétés peuvent très bien être dynamique (après tout, nous savons depuis Hubble que les 3 grandes dimensions sont en expansion) alors pourquoi est-ce que ces « constantes » ne changeraient-elles pas ? Cette perspective nous oblige à justifier pourquoi les petites dimensions ne sont qu'approximativement constantes. Ainsi la vision moderne, celle du XXIème siècle, est qu'il serait bien plus naturel que ces CdlN ne soient pas constantes mais qu'elles varient, soit de façon spatiale ou de façon temporelle.

Comme exemple considérons la densité de l'énergie sombre. La vision du XXème siècle se plaçait en terme « d'énergie du vide », une propriété des espaces vides que prédisait le modèle standard des particules de la physique. C'est qualitativement correct, mais quantitativement catastrophiquement faux. Plus récemment, trois grands courants ont émergés pour expliquer cette constante particulière (et ignorer le problème de l'énergie du vide). Le premier courrant explique l'énergie sombre comme une nouvelle forme exotique de la matière. Le second voit dans l'accélération de l'expansion de l'Univers une preuve que nous ne comprenons que de manière incomplète la gravité.

Le troisième courrant quant à lui soutient que la densité de l'énergie sombre n'est juste qu'une autre CdlN, la « constante cosmologique », qui apparaît comme un terme additionnel dans l'équation de la relativité générale d'Einstein, et par là même augmente la vitesse d'expansion de l'univers. Cette possibilité a été originellement suggérée par Einstein lui-même. Bien qu'il s'agisse d'un moyen économique pour modéliser tout les effets actuellement observés de l'accélération de l'univers, mais c'est aussi très insatisfaisant pour une explication moderne - une analogie serait que votre votre chef vous explique le montant de votre salaire en disant « c'est le nombre et point à la ligne ». La tentative de tourner cela en un résonnement pseudo-anthropique associé aux arguments issues du champ de la théorie des cordes correspond dans notre analogie à ce qu'ajouterai votre chef : « parce si vous vouliez gagner plus d'argent que ça, vous ne devriez pas être ici à me poser la question ».

Si nous considérons la densité cosmique de l'énergie sombre comme une autre CdlN qui apparaît dans l'équation d'Einstein, il faudrait aussi que cela provienne d'une manière ou d'une autre de la théorie fondamentale sous-jacente, comme il en est pour les autres CdlN. Pour la même argumentation, nous l'avons examiné avant d'être en fait surpris par sa constance. Donc la plupart des recherches théoriques prennent place dans les courants 1 et 2, dotant cette supposée constante CdlN de propriétés dynamiques qui peuvent être testées en principe par l'observation.

Bien entendu, aucun de ces arguments esthétiques ou théoriques constituant une explication satisfaisante ne peut tenir la route si elle ne peut pas être testée. Et dans les faits, il y a deux sortes de tests : les tests en laboratoires et les observations astronomiques. Pour cette discussion, intéressons nous maintenant à une CdlN particulière, la CdlN mesurée la plus précisemment, la constante de structure fine α. Ce nombre nous donne la puissance de la force qui agira sur une charge électrique lorsque celle-ci est placée dans un champ électromagnétique. Si vous avez déjà entendu parlé de la charge d'un électron, vous avez déjà rencontré cette constante sous une forme un peu différente. Comme la charge a une unité (le Coulomb), on peut toujours redéfinir l'unité pour changer sa valeur. Ainsi le nombre pertinent est un nombre sans dimension représenté par la combinaison de la charge de l'électron avec d'autres CdlN. Cela donne α ≈ 1/137.

Au fil des ans, la valeur de α a été mesurée dans des expériences en laboratoire jusqu'à une précision de 10 chiffres. En utilisant la précision extrême des fontaines atomiques, la valeur de α a été mesurée sur 5 ans, et l'on a découvert que celle-ci variait de moins d'un pour 1015 par an. [Marion et al. 2003].

Les expériences en laboratoire ont aussi cet avantage indéniable : les paramètres sont totalement sous contrôle et sont reproductibles. Néanmoins, elles souffrent d'un très court effet levier sur une échelle de temps humain. Les observations astronomiques fournissent un effet levier bien plus grand dans le temps. Les meilleures observations actuelles utilisent les raies d'absorption des quasars et limitent les variations à une précision similaire lorsqu'elles sont rapportées en terme de variations annuelles, mais ces mesures tiennent comptent de ces variations sur les 12 derniers milliards d'années, c'est-à-dire le temps qu'a pris l'univers pour se dilater d'un facteur 2.

En fait, en utilisant de telles données sur les quasars, un groupe a affirmé avoir détecté une variation de α de l'ordre de 0.001% sur les 12 derniers milliards d'années [Webb et al. 2001] - bien que cette annonce soit soumis à controverse [Chand et al. 2006], mais les choses commencent à devenir intéressantes à ce niveau.

Mon thésard et moi même avons découvert une nouvelle sonde astronomique de la constante de structure fine qui pourrait très certainement être la source d'information ultime en astronomie pour sonder ses variations dans le temps. Comparé aux données des quasars, notre technique sonde α a une époque encore plus jeune de l'univers, seulement quelques millions d'années après le Big Bang, lorsque l'univers étaient de 30 à 200 fois plus petit qu'il ne l'est aujourd'hui. Et en principe, si quelques difficultés techniques peuvent être circonscrites, il y aurait suffisamment d'information pour mesurer la valeur de α il y a 13.7 milliards d'années avec une précision de 9 chiffres ! Cela serait 10 000 fois plus précis que les meilleures mesures en laboratoires.

Quel est donc ce trésor d'information ? Il arrive sur Terre sous la forme d'une longue longueur d'onde radio ( λ compris entre 6 et 42 m). Ces ondes radio commencèrent leur vie avec un λ compris entre 0.5 et 3 cm, faisant parti du rayonnement de fond cosmologique micro-onde qui a été émis lorsque le plasma chaud de l'univers primitif s'est transformé en un gaz d'hydrogène neutre. Comme l'univers se dilate, ces ondes se dilatent proportionnellement. Après environ 7 millions d'années, les ondes ayant eu la plus grande longueur d'onde initiale arrivèrent les premières à une longueur d'onde magique : 21 cm. A cette longueur d'onde, ces ondes résonnent avec les atomes d'hydrogène neutre : elles ont tout juste la bonne énergie pour être absorbées par leur électron. Les ondes absorbées sont retirées du rayonnement de fond cosmique micro-onde et peuvent être utilisées comme une raie d'absorption  (similaire aux raies bien connues de Fraunhofer dans le spectre solaire). Comme l'univers se dilate durant les 120 millions d'années suivantes, les ondes qui avaient initialement la plus courte longueur d'onde atteignent la longueur d'onde de 21 cm et sont absorbées de manière identique par l'hydrogène neutre. Après cette période, la lumière des premières étoiles chauffent l'hydrogène à tel point qu'il ne peut plus absorbé ces ondes [Loeb and Zaldarriaga 2004].
Il s'avère que l'intensité de l'absorption est extrêmement sensible à la valeur de α. Donc le spectre d'absorption que nous nous attendons à voir dans ces ondes radio est un enregistrement précis de la valeur de α durant cette époque. Nous pourrons même chercher les variations de α au sein de cette époque, et aussi vérifier des variations spatiales de α et d'autres « constantes ». J'ai soutenu ci-dessus que ces variations sont attendues à partir de considérations générales, mais elles sont aussi prédites par des théories des cordes spécifiques inspirées des modèles de l'énergie sombre comme le modèle caméléon.

Les tests que nous proposons sont uniquement un espoir de valider les modèles de physique fondamentale grâce aux observations astronomiques. D'importantes difficultés technologiques devront être résolues pour réaliser ces mesures de spectre d'onde radio à un niveau de précision requis. Néanmoins, la prochaine fois que vous verrez de la neige sur vos télévisions analogiques, vous pourrez considérer qu'une partie de ce que vous voyez est dû aux longues ondes radio qui vous ont atteints en provenance des débuts de l'univers, ayant traversées le gouffre cosmique temporel et portant avec elles la signature de ce qui pourrait révéler la théorie fondamentale de la Nature.

Références
Chand H. et al. 2006, Astron. Astrophys. 451, 45.
Khatri, R. and Wandelt, B. D. 2007, Physical Review Letters 98, 111301. Résumé
Loeb, A. and Zaldarriaga, M. 2004, Physical Review Letters 92, 211301. Résumé
Marion, H. et al. 2003, Phys.Rev.Lett. 90, 150801. Résumé
Uzan, J.-P. 2003, Reviews of Modern Physics, vol. 75, 403. Résumé
Webb,J. K. et al. 2001, Physical Review Letters 87, 091301. Résumé