evolution@home

Molly amazone
Tous les molly amazones sont des femelles (image : Dunja K Lamatsch)
Le molly amazone (Poecilia formosa) a longtemps été soupçonnée d'être une espèce menacée d'extinction par le cliquet de Müller [1]. Evolution@home vient de découvrir qu'il existe  un paradoxe du déclin génomique chez ce poisson. La recherche des processus qui maintiennent en vie ce poisson prend donc toute son importance.

Le molly amazone (une espèce de poisson qui a la particularité de n'être composée que de femelles) interagit avec des mâles appartenant à d'autres espèces pour se reproduire (P. latipinna ou le molly voile). Le sperme de ces poissons mâles active le développement de l'embryon, mais en général, l'ADN du mâle n'est pas transmis à la progéniture. La descendance n'hérite que des gènes de la mère. Les rares fois où l'ADN du mâle pénètre dans l'ovule, l'embryon hérite comme dans tout processus de fécondation de chromosomes différents, mais les mécanismes normaux de recombinaison génétique sont toujours absent. Aussi, d'un point de vue évolutif, le molly amazone devrait ressembler à tous les autres organismes asexués qui n'admettent aucune recombinaison génétique.

Lorsque des êtres vivant se reproduisent sans l'existence d'individus du sexe opposé, le cliquet de Müller devrait entrainer une lente dégradation du génome. En effet, au fil des générations, la descendance accumule des mutations légèrement défavorables (délétères) dans son ADN. Ces espèces rencontrent alors des problèmes pour se reproduire avant de disparaître définitivement (extinction pure et simple de l'espèce).

Les chercheurs pensent que le molly amazone est apparue il y a 70.000 ans lorsque une hybridation entre deux espèces sœurs sexuées enfanta le génome d'une espèce que nous appelons aujourd'hui le molly amazone. Cette espèce compterait aujourd'hui 100.000 individus, ils vivent tous dans un petit territoire qui s'étend du fleuve Rio Nueces au sud est du Texas jusqu'à l'embouchure du Rio Tuxpan dans le nord est du Mexique

Ce temps semblait trop long pour Manfred Schartl de l'Université de Wurtzbourg (Allemagne). En s'appuyant sur des travaux théoriques, il était persuadé que les molly amazones n'auraient pas pu survivre aussi longtemps sans une aide supplémentaire. En 1995, avec le soutien de son égroupe de recherche, il réussit à fournir une réponse à ce dilemme. Cette explication a été reprise par Nature et le New Scientist : les rares entrées de l'ADN du père (appartenant à une espèce sœur sexuée) dans l'ovule du molly amazone  permettrait de réparer les gènes endommagés.

Toutefois, la mise en application de ces travaux théoriques sur le cliquet de Müller au molly amazone n'était pas rigoureuse. En effet, l'étude théorique correspondante portait sur les caractéristiques générales à petite échelle et ne testait aucunement ce qui s'était passé dans le cas du molly amazone. Par exemple, si une population d'une taille réaliste avait été utilisée, on peut supposer que les mêmes simulations auraient pu montrer que le molly amazone allait survivre au cliquet de Müller durant plus de 100.000 ans. En 1995, il était impossible de tester une population de molly amazones d'une taille réaliste, car ce travail exige une étude d'une extraordinaire complexité. Ainsi, il reste toujours une possibilité qu'aucun paradoxe du déclin génomique n'existe pour cette espèce et qu'il ne faudrait pas s'attendre à ce que cette  espèce disparaisse.

Pour explorer cette possibilité, Evolution@home utilisa l'application Simulator005 pour tester des modèlisations réalistes de l'évolution du molly amazone. Pour ce faire, le Dr Dunja Lamatsch (qui à l'époque était un membre du groupe de Manfred Schartl à l'Université de Wurtzbourg) apporta son aide pour rassembler toutes les données nécessaires à la conception d'une modélisation réaliste de l'évolution du molly amazone sous l'hypothèse que l'ADN des espèces sœurs ne contribuait pas à la survie du molly amazone.

En s'appuyant sur la modélisation des changements génétiques sur plusieurs milliers de générations,  Evolution@home calcula combien de temps il faudrait pour que cette espèce de poisson disparaisse totalement. Les résultats ont été récemment publiés dans "BMC Evolutionary Biology" et sont librement consultables (PDF).

En résumé, les résultats confirment que le molly amazone devrait déjà avoir disparu (les modèles indiquent que l'espèce ne peut pas survivre plus de 20.000 ans). Comme cette espèce est beaucoup plus ancienne, il existe effectivement un paradoxe du déclin génomique lorsque l'on utilise un modèle simple du cliquet de Müller avec des valeurs réalistes. Cela signifie que certains subterfuges ne sont pas pris en compte dans ce modèle simple et qu'il est important de rechercher une modélisation qui collerait davantage avec la réalité.

Sur ce que l'on peut dire, les molly amazones mettent en oeuvre certaines astuces qui permettent une survie génétique de l'espèce. L'une de ces astuces pourrait en effet être l'usage occasionnel de l'ADN des mâles qui déclenchent le développement de l'embryon. Ce stratagème permet de restaurer le patrimoine génétique du poisson et permet à l'espèce de rester en vie. Mais de nombreux autres facteurs pourraient contribuer à cette survie, à commencer par l'apparition  de mutations favorables, qui auraient été ignorées jusqu'à présent.

Le molly amazone souffre d'un deuxième handicap. En effet, les recherches menées par l'Université du Texas montrent que les mâles molly voile préfèrent s'accoupler avec les femelles de leur propre espèce plûtot que de donner leur sperme aux molly amazones. Les molly voile produisent également plus de sperme lorsqu'ils s'accouplent avec les molly sailfin femelles.

Les molly amazones souffrent donc d'un double désavantage : leur renouvellement génétique est extrêmement limité, et les mâles de l'espèce apparentée évitent de s'accoupler avec elles. Cependant, elles ont réussi à survivre beaucoup plus longtemps que n'importe quelle espèce verterbrée asexuée.

Il est nécessaire de mener davantage de recherches pour expliquer qu'elle est le processus exact qui a permis au molly amazone de survivre jusqu'à aujourd'hui. Cette recherche est importante, car elle pourrait nous aider à comprendre certains mécanismes fondamentaux de l'évolution qui jouent probablement un rôle dans la survie d'autres espèces asexuées et qui pourraient même être important pour les espèces sexuées. Ces résultats pourraient également permettre de conserver certaines espèces asexuées.

"Nous devons apprécier de manière plus détaillée l'évolution du molly amazone" explique le Dr Lamatsch, maintenant à l'Institut de Limnologie à l'Académie des sciences autrichienne (Österreichische Akademie der Wissenschaften)

Evolution@home envisage de travailler de nouveau sur le molly amazone pour permettre de tester les diverses explications possibles afin de savoir comment le molly amazone parvient à nager à contre courant de l'évolution alors que ce comportement conduit rapidement à l'exctinction d'autres espèces asexuées.


Plus d'informations

L'article scientifique est librement consultable :

Loewe L & Lamatsch D (2008) "Quantifying the threat of extinction from Muller's ratchet in the diploid Amazon molly (Poecilia formosa)" BMC Evolutionary Biology 8:88   PDF | PubMed | DOI | Journal | ISI Web   

Cet article a été repris par plusieurs médias :
  • BBC Scotland: "No sex for all-girl fish species" (Pas de sexe pour une espèce amazone)
  • CNN SciTechBlog: "No sex means tricky survival for fish species" (Pas de sexe = d'embêtant problèmes pour la survie de certaines espèces de poissons)
  • Uni Edinburgh press release: "Tiny fish's survival struggle defies evolutionary laws" ("La survie d'un petit poisson défie les lois de l'évolution")
  • D'autres articles en anglais peuvent être trouvés sur Google.


[1] dénition du cliquet de Müller : la composition du génome qui se reproduit par voie asexuée accumule inexorablement des mutations de façon irréversible. Au cours du temps, des mutations délétères apparaissent inexorablement. Un organisme se reproduisant de façon asexuée ne peut donc que cumuler ces mutations : les descendants ont au mieux au moins autant de mutations que leurs parents. Cette situation rend la reproduction asexuée désavantageuse sur le long terme.