Deux semaines après Science, la revue scientifique britannique Nature vient à son tour de publier les encourageants résultats scientifiques réalisés par David Baker et Rosetta@home dans le domaine de la conception d'enzymes.
Vous trouverez ci-dessous la traduction du communiqué de presse publié par l'institut de médecine Howard Hughes.
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Entretien avec David Baker Le chercheur du HHMI présente sa méthode de conception d'enzymes. Durée: 5 minutes. Lancer le document audio Entretien réalisé par Benjamin Lester/HHMI |
Dans une recherche qui a mobilisé la puissance de calcul offerte par des milliers d'utilisateurs à travers le monde, des chercheurs de l'institut de médecine Howard Hughes ont crée des enzymes fonctionnelles encore jamais observées à l'état naturel.
Les enzymes sont les catalyseurs du vivant. Sans elles, les fonctions biologiques vitales qui consistent, par exemple, à convertir le sucre en énergie ou à répliquer l'ADN, demanderaient aux cellules des milliards voire même des centaines de milliards de fois plus de temps. Les chercheurs ont longtemps cherché à imiter cette perfection naturelle en créant sur mesure des enzymes capables d'accélérer les lents processus de production industriel des produits pharmaceutiques et des carburants. La complexité moléculaire a toutefois entravé leurs efforts.
D'après le docteur David Baker, un chercheur du HHMI à l'université de Washington, "la méthode pourrait en principe être appliquée à n'importe quelle réaction chimique" et pourrait conduire à des améliorations dans les domaines de la conception de médicaments, la dépollution de déchets toxiques, et bien d'autres encore.
Son équipe de recherche a annoncé cette découverte dans deux articles, l'un publié dans l'édition du 7 mars 2008 de Science. Le second a qu'en à lui été publié sur le site internet de la revue scientifique Nature.
Tout comme les autres protéines, les enzymes sont constituées de longues chaines d'acides aminés. Il existe 20 types d'acides aminés, elles jouent le rôle d'unités structurales de base des protéines, et chacune possède des propriétés différentes. Durant ou après sa synthèse, la protéine se replie spontanément pour adopter une structure tridimensionnelle précise. Cette forme repliée représente un équilibre entre les interactions répulsives et attractives des atomes qui composent les acides aminés et les molécules d'eau qui les entourent.
La forme d'une enzyme est primordiale à l'exercice de la fonction qu'il lui est assignée, car elle présente dans sa structure une cavité appelée site actif spécialement conçue pour se lier avec la molécule ciblée par l'enzyme. Une fois cette liaison effectuée, les atomes en contact avec le site actif réagissent avec lui. Décomposer l'amidon en molécules individuelles de glucose est un exemple parmi d'autres de ce type de réactions. En l'absence d'une structuration extrêmement précise, les enzymes ne peuvent pas fonctionner.
Pour leur projet de conception d'enzymes, l'équipe a choisi deux modèles de réactions utilisés dans le monde de la chimie, "les chimistes les ont étudiés durant pas mal de temps" explique Baker, "nous avions ainsi une bonne idée de ce qui était nécessaire au site actif pour réaliser à les catalyser". D'après Baker, la clé de la création de ces nouvelles enzymes était de construire des séquences d'acides aminés qui se replieraient pour former un site actif."
La prédiction de la forme que prendra une chaine d'acides aminés est devenue une spécialité pour Baker. En octobre 2007, son équipe a fait état de progrès significatifs dans la prédiction de la structure des protéines en s'appuyant uniquement sur leurs séquences d'acides aminés. Pour réaliser ses prédictions, Baker utilise Rosetta, un programme informatique développé pour modéliser les interactions entre les atomes qui régissent la formation des protéines. Cependant, Baker précise que "ces complexes calculs exigent énormément de temps de calcul informatique". Un temps tellement important que Baker se doit de regrouper des milliers d'ordinateurs.
Lorsqu'il s'est pour la première fois lancé dans la prédiction de la structure des protéines, Baker disposait d'une grappe de serveurs dans son laboratoire. Quelques années plus tard, il réalisa que les calculs nécessaires pour aboutir à des progrès significatifs surpassaient très largement les capacités de son laboratoire. Mais les capacités informatiques nécessaires à Baker étaient tout autour de lui, dans les maisons et dans les entreprises de gens comme vous et moi.
Alors Baker créa Rosetta@home, une communauté en ligne qui associe l'idée de Rosetta avec celle de l'infrastructure ouverte de Berkeley pour le calcul en réseau (BOINC). BOINC découpe les calculs en petites unités puis envoit ces unités à une armée de volontaires qui, aux quatre coins du globe, offrent leur capacité de calcul initulisée pour replier des protéines. Aujourd'hui, Rosetta@home compte plus de 190.000 membres.
Pour son projet de conception d'enzymes, l'équipe de Baker, accompagné par ses collègues Daniela Rothlesberger et Eric Althoff ainsi que par les étudiant de second cycle, Lin Jiang et Alex Zanghellini, ont conçu des sites actifs avec l'idée qu'ils pourraient accélérer certaines réactions chimiques. Ils ont ensuite utilisé le réseau du projet Rosetta@home pour trouver les séquences d'acides aminés qui pourraient se replier pour produire ces sites actifs. Après cette étape, ils ont crée de véritables gènes sur la base de ces séquences virtuelles d'acides aminés, puis ces gènes ont été implantés sur des bactéries pour observer si la protéine qu'ils avaient produit accélérait la réaction.
Selon Baker, les enzymes ont fonctionné, mais pas aussi bien que celles que l'on trouve dans la nature. "Au lieu d'accélérer la réaction des centaines de milliard de fois, les enzymes obtenues n'amélioraient la réaction que d'un facteur 100.000" explique t-il. "Nous voyons clairement qu'il nous manque quelque chose, et il est très important pour notre recherche de savoir quoi".
Pour l'aider, des collègues israéliens de Baker, Dan Tawfik et Olga Khersonsky (co-auteurs de l'article publié dans Nature), ont utilisé une de ces enzymes et l'ont forcé à évoluer. Au fond de leurs tubes à essai, le duo a produit des milliers de variations de l'enzyme par mutations aléatoires. Par chance, plusieurs de ces mutations ont perfectionné l'enzyme. D'après Baker, la capacité de catalyse de l'enzyme a été multipliée par 200 après plusieurs étapes d'évolution dirigée. L'analyse de ces changements aidera Baker et son équipe à perfectionner leurs modèles informatiques dans l'optique de futurs recherches.
D'après Baker, les découvertes réalisées suite à cette étude sont importantes pour deux raisons. Premièrement, "les enzymes constituent l'une des plus miraculeuse création de la nature... mais nous n'en savons encore que très peu sur leur fonctionnement. Le projet en tentant d'en fabriquer une de toute pièce, nous aidera vraiment à mettre en perspective ce qui est important pour réaliser une bonne catalyse". Deuxièmement, ajoute Baker, "il existe énormément d'applications pratiques pour ces enzymes. Par exemple, accélérer la production des produits pharmaceutiques, créer de nouveaux carburants, ou assainir une atmosphère ou un sol pollué. On ne peut pas imaginer à quel point les enzymes peuvent nous être utiles".