Alessandra Carbone, la directrice du projet Parmi les quelques projets sélectionnés par la commission du World community grid, un seul est européen : HCMD (Help Cure Muscular Dystrophy) porté par Alessandra Carbone, bio-informaticienne et enseignant-chercheur à l’Université Pierre et Marie Curie. Ce projet d’assemblage moléculaire pourrait à terme aboutir à l’élaboration de nouveaux traitements contre les myopathies et les maladies neuromusculaires. Après une première phase réussie en 2007, le projet fera son grand retour sur la grille dans quelques jours.
Entretien avec Alessandra Carbone (source : Université Pierre et Marie Curie)

Alessandra Carbone, parlez-nous de votre activité au sein de l’UPMC ?

Je suis enseignante en informatique et je dirige par ailleurs l’équipe Génomique Analytique au sein de l’unité UPMC/CNRS « Génomique des micro-organismes ». Mes recherches combinent mathématiques, algorithmique et biologie moléculaire.

En quoi consiste le projet HCMD?

Les gènes responsables des maladies neuromusculaires sont en partie connus aujourd’hui grâce aux avancées de  la recherche. Toutefois, le rôle des protéines dans ce processus n’est pas encore maîtrisé par les chercheurs. Mon projet d'amarrage moléculaire consiste donc à étudier les interactions des protéines entre elles pour en comprendre l’activité biologique, et en particulier celles impliquées dans des dysfonctionnements neuromusculaires. On essaie ainsi de répondre à la question suivante : comment les protéines cessent-elles d’assurer leur rôle fonctionnel dans le muscle ? Grâce aux techniques de modélisation moléculaire, nous pouvons désormais déterminer les positions dans lesquelles une protéine dont on connaît la structure 3D va interagir correctement avec sa consoeur, ce qui nécessite de comparer entre 100 000 et 500 000 positions différentes selon la taille des protéines : la tâche est donc fastidieuse! A la fin de l’analyse de chaque paire, reste à savoir quelles protéines peuvent être partenaires.

D’où la nécessité d’utiliser la technologie du calcul distribué?

Absolument, il était essentiel pour nous de pouvoir bénéficier de supercalculateurs capables d’absorber une quantité « extraordinaire » de calculs. Sous l’impulsion de la grille universitaire française Décrypthon, créée en  2001 par l’Association Française contre les Myopathies (AFM), IBM et le CNRS, nous avons pu intégrer en 2006 le World Community Grid,  la plus vaste grille d’internautes disposant d’une centaine de milliers d’ordinateurs actifs. En un peu plus de 6 mois, le projet a calculé l’interaction de 186 protéines entre elles, l'équivalent de 14 siècles de calcul sur un ordinateur unique. Un très grand saut dans le futur !

Quel est le rôle de Decrypthon ?

Il s’agit d’un programme fondé par le CNRS, l’AFM et IBM France dans le but d’accélérer la recherche en génomique et en protéomique  grâce à la technologie du grid computing (calcul en grille). Ce programme poursuit les mêmes objectifs que le World community grid mais à la différence qu’il s’appuie sur une grille universitaire constituée de supercalculateurs répartis dans 6 universités françaises dont l’UPMC.

En 2005, mon projet fut sélectionné par le comité Decrypthon et un financement m'a été alloué pour 26 mois de post-doc. Par la suite, le programme Decrypthon a souhaité entériner un partenariat étroit avec le World community grid. C'est pourquoi il continue de jouer un rôle de premier plan dans la communication faite autour du projet.

HCMD est le seul projet européen sélectionné : quel est le processus de sélection?

HCMD est effectivement le seul projet européen face à des projets canadiens, américains et japonais ! Tous ces projets sont issus d’organismes publics et répondent à certains critères : ils ont pour la plupart trait à la santé et offrent la perspective d’un impact significatif sur l’humanité. Bien sûr les projets doivent justifier de la nécessité d’une puissance de calculs très importante.

Comment exploitez-vous les données récoltées à l’issue de la 1re phase?

Les informations sont rassemblées dans une base de données qui constitue une collection d’informations très importante pour les chercheurs en modélisation moléculaire et en bioinformatique structurale. Ces résultats nous ont permis de développer des nouvelles méthodes numériques pour la discrimination des partenaires de protéines cibles qui nous utiliserons dans la 2e phase du projet.

En quoi va consister la 2e phase du projet ?

Des nouveaux résultats sur la prédiction de sites d’interaction entre protéines obtenus ces deux  dernières années ont été intégrés au programme de modélisation moléculaire ; ce qui réduira de beaucoup le temps de calcul en explorant uniquement les zones pertinentes des 2200 protéines humaines sélectionnées dont on ne connaît pas bien le rôle dans les myopathies. Cette expérience nous apportera des informations plus précises sur le mode de fonctionnement des protéines cibles avec d’autres protéines chez l’homme.

Les informations issues de cette 2­e­ phase du projet seront rassemblées dans une base de données destinée aux chercheurs en biomédecine. Ces études fondamentales leur apportent de nouveaux outils de compréhension. Grâce à ces données, ils pourront appréhender la mise au point de nouveaux traitements, notamment des molécules capables de modifier l’interaction des protéines.

Comment les internautes qui ont envie de soutenir votre projet doivent-ils procéder ?

Il suffit de télécharger gratuitement le logiciel BOINC, mis au point par l’université de Berkeley, puis de laisser à son ordinateur le soin de faire le reste ! Les calculs s’effectuent pendant que l’ordinateur n’est pas utilisé, à condition qu’il soit allumé ou en mode veille. Vous pouvez voir en temps réel des informations chiffrées sur les calculs effectués par votre ordinateur, c’est très satisfaisant ! Cette technologie est sans danger, complètement sécurisée et ouverte à tous les systèmes d’exploitation : PC, Mac, Linux. IBM en apporte la garantie en offrant son expertise technique à la grille.

A quelques jours du lancement, êtes-vous sereine ?

Le grand public est  de plus en plus sensible à ce genre de démarches solidaires, particulièrement en Europe qui remporte la palme du nombre d’ordinateurs connectés au World community grid. Une communauté très fidèle s’y est constituée et anime ce réseau encore aujourd’hui, après une interruption de 2 ans.  J’y contribue moi-même en participant aux échanges sur les avancées du projet et en communiquant régulièrement des résultats chiffrés. De nombreuses personnes m’écrivent pour me parler du cas de leur fille ou de leur frère atteint d’une maladie neuromusculaire, comme si je portais l’espoir de toute une vie avec ce projet. Il y a une véritable attente et le défi est grand mais chacun de vous a le pouvoir aujourd’hui de nous aider à le relever. A vos ordinateurs !

HCMD est un projet de l’UPMC porté par le professeur Alessandra Carbone avec l’implication de plusieurs équipes de l’université :

Pascale Guicheney : Laboratoire Physiopathologie et thérapie du muscle strié, Institut de Myologie, Hôpital de la Pitié Salpêtrière

Jean-Marie Chesneaux, LIP6

 

Et celle d’équipes extérieures

Sophie Sacquin-Mora, Institut de Biologie Physico-Chimique, Paris

Richard Lavery, Institut de Biologie et Chimie des Protéines, Lyon