Dans un précédent message, Nicolas Maire, avait décrit l'approche utilisée pour optimiser les modèles mathématiques utilisés par l'équipe de recherche du projet malariacontrol.net. A partir d'un modèle de base, les scientifiques du projet ont développé une variété, ou un ensemble de modèles alternatifs. Chacun de ces modèles représente un ensemble d'hypothèses sur l'épidémiologie et la transmission du paludisme. L'équipe de recherche a ainsi testé et comparé les résultats de chacun de ces modèles avec les données recueillies sur le terrain afin d'identifier les paramètres des modèles qui produisaient les projections les plus proches de la réalité. Une fois calibrés, les modèles pouvaient être utilisés pour prédire les effets de différentes conjectures, comme par exemple les conséquences d'un plan d'action contre le paludisme. Idéalement, ces prédictions devaient être validées par d'autres données recueillies sur le terrain, lorsque celles-ci sont disponibles.

 

L'utilisation d'un ensemble de modèles, plûtot qu'un modèle unique, permet de savoir si la compréhension d'un phénomène particulier est suffisante pour obtenir une prédiction valide sous différentes hypothèses. Si c'est le cas les scientifiques du projet peuvent être assurés que le phénomène est correctement décrit. Au contraire, lorsque des modèles différents donnent des prédictions différentes, cela indique la nécessité d'une étude plus approfondie pour distinguer les bonnes hypothèses des mauvaises.

Les deux composantes des modèles décrits ci-dessous (que nous appellerons modèle par soucis de simplification) représentent des points importants de l'incertitude scientifique dans le domaine de la transmission du paludisme.



"Within-host Models" (Modèles "à l'intérieur de l'hôte")

Vous n'êtes pas sans savoir que le paludisme est une maladie infectieuse due à un parasite qui pénètre dans l'organisme par la piqûre d'un moustique. Ce parasite infecte les globules rouges du sang où il se multiplie. Le nombre de parasites par microlitre de sang (la densité parasitaire) est une variable centrale qui permet d'établir la probabilité qu'un individu contamine les moustiques qui viennent le piquer, et la probabilité que cet individu contracte le paludisme. C'est pourquoi, le point de départ du projet était de construire un modèle qui prédisait l'évolution de la densité parasitaire dans le sang d'un individu au fil des piqûres par un moustique infecté. Les humains sont des hôtes pour le parasite du paludisme, d'où le nom de modèles"Within-host" ("à l'intérieur de l'hôte").

 

Ces modèles utilisent comme point de départ une description statistique de la densité parasitaire chez un humain artificiellement infecté. Les scientifiques disposent de données très précises car au début du XXème siècle, avant l'utilisation des antibiotiques, le parasite du paludisme était inoculé aux patients atteints de syphilis. La forte fièvre qui en résultait permettait une amélioration de l'état de certains patients (c'est ce qu'on a appelé la malariathérapie). Les scientifiques du projet ont également ajouté un modèle construit sur des données réelles relatives à la prémunition (l'immunité acquise par l'hôte du parasite). Ces deux modèles permettent de simuler les effets des plans d'action qui visent à prévenir les nouvelles infections : moustiquaires, pulvérisation de produits anti-moustique dans les maisons, vaccins bloquant l'infection,...

Cependant, ces modèles sont moins appropriés pour étudier les plans d'action ciblés sur les individus infectés, par exemple les investissements pour prendre en charge les patients comme nous le verrons dans la prochaine section. Pour ce faire, il faudrait un modèle qui explique les mécanismes à même de faire varier la densité parasitaire et ne plus s'appuyer sur une description statistique. Les scientifiques du projet ont ainsi développé un modèle à l'intérieur de l'hôte (within-host) amélioré qui s'appuie sur une représentation plus détaillée du cycle de vie du parasite et du système immunitaire de l'organisme humain. Si vous participez au projet MalariaControl.net, c'est ce modèle within-host amélioré qui tourne actuellement sur vos ordinateurs.

Voici une question important que nous nous devons d'aborder : l'une des principales inconnues de la lutte contre le paludisme consiste à savoir durant combien de temps la génération actuelle de médicaments contre le paludisme restera efficace. Car, malheureusement, la résistance aux médicaments les plus couramment utilisés se développe au fil du temps (ce fût déjà le cas avec les précédentes générations de médicaments). Cette résistance peut s'accélérer si les médicaments ne sont pas correctement utilisés. En l'absence de médicaments de substitution, cette résistance serait un désastre pour la lutte contre le paludisme dans une grande partie du monde, car il n'y aurait plus aucun remède efficace pour les personnes souffrant de la maladie. Les scientifiques du projet ont donc développé un modèle qui évalue l'efficacité des médicaments en terme de réduction de la densité parasitaire. Ce modèle, mis en relation avec le modèle "within-host" amélioré, permet de faire des recherches sur la résistance aux médicaments et les conditions dans lesquelles cette résistance se développe. Les résultats devraient fournir des indications sur les méthodes qui permettront de ralentir le développement et la propagation de la résistance aux médicaments. Ils permettront également de spécialiser les recherches pour les prochaines générations de médicaments antipaludiques.

Le nouveau modèle "within-host" prédit journalièrement la densité parasitaire (au lieu de tous les 5 jours pour le modèle initial). Cette actualisation demande davantage de puissance de calcul. Toutefois, la capacité à prédire journalièrement la densité parasitaire permet une simulation plus précise des actions de distribution des médicaments aux populations. C'est le cas par exemple des médicaments antipaludiques les plus efficaces qui réduisent significativement la densité parasitaire dans les heures suivants leur administration. Le nouveau modèle permet également une simulation plus réaliste du comportement des populations par rapport à la maladie et aux traitements. C'est l'objet de la prochaine section.

Modèle case management (prise en charge individuelle)

Ces modèles sont bien plus qu'une simple variation du modèle "Within-host" : un autre axe majeur de recherche développé récemment par les scientifiques du projet s'intéresse aux comportements humains. Comment sont pris en charge les patients atteint du paludisme ? Que font les gens lorsqu'ils tombent malade ? Quel type de traitement reçoivent-ils ? Comment s'administrent-ils le traitement ? Il est important de prendre en compte cette prise en charge individuelle, car en plus de réduire la mortalité et la maladie, la prise en charge des individus porteur du paludisme réduit le nombre de personnes qui peuvent potentiellement infecter d'autres personnes. Cela réduit la transmission future du parasite responsable de la maladie.

 

Un objectif important des programmes de contrôle du paludisme consiste à atteindre une large couverture du traitement antipaludique. C'est à dire fournir un traitement de qualité aux plus de personnes possibles dès que les premiers symptômes apparaissent. Cependant, dans de nombreux pays, en particulier ceux qui abritent un système de santé défaillant, des obstacles existent pour traiter les patients au bon moment, la couverture du traitement reste faible.

 

Le modèle de prise en charge individuelle initialement proposé étudiait de quelle manière les différents niveaux de couverture du traitement antipaludique influaient sur les taux de transmission, de morbidité et de mortalité de la maladie. Cependant, la couverture du traitement antipaludique est déterminé par un certain nombre de décisions consécutives prises par les patients eux-mêmes et par les établissements qui fournissent les soins. Ainsi une insuffisance ou inversement une amélioration de n'importe quelle étape de la prise en charge peut considérablement modifier le degré de  couverture. Le modèle alternatif simule ces décisions, il permet de connaitre les stratégies et les modes d'intervention qui vont étendre la couverture et augmenter la qualité du traitement antipaludique. Par exemple, le nouveau modèle tient compte des traitements antipaludiques diffusés dans le secteur informel (une alternative conséquente au secteur de santé publique dans beaucoup de pays); les méthodes des praticiens de santé (différentes recherches suggèrent que celles-ci s'éloignent souvent des directives nationales); le retard pour recevoir un traitement qui peut transformer un cas bénin en un paludisme sévère.

Le nouveau modèle de prise en charge individuelle simule journalièrement les décisions des individus, ce qui le rend plus réaliste par rapport au modèle précédent qui ne permettait qu'un prise de décision tout les 5 jours. En outre, avec les modèles "à l'intérieur de l'hôte" et les modèles relatifs à l'action des médicaments, les chercheurs peuvent observer l'effet d'un traitement sur la densité parasitaire journalière. Ils peuvent simuler un traitement à des doses insuffisantes (lorsque les individus se rétablissent de la maladie mais restent porteur du parasite) et l'effet d'un abus de médicaments sur l'augmentation de la résistance aux médicaments.

Avec ce modèle de prise en charge individuelle alternatif, les chercheurs sont en mesure de prédire jusqu'à quel point la couverture du traitement antipaludique peut être élargie par l'utilisation de diverses interventions du système de santé. Puis de suggérer si l'affectation des ressources marginales dans ce domaine est plus efficace par rapport à d'autres types de plans d'actions (tel que la distribution de moustiquaires). Ce modèle est un nouvel outil de diagnostic qui permet de cibler le traitement le plus efficace. Il est possible de modéliser les effets vertueux des systèmes de santé, car une intervention médicale n'affecte pas seulement les paramètres biologiques et épidémiologiques, elle améliore également le système de santé lui même. Enfin, des données ont été collectées dans toute l'Afrique pour calibrer le modèle, ainsi les prédictions sont adaptées aux réalités locales.

L'équipe du projet espère être en mesure de proposer un ensemble de modèles paludiques qui soient le plus pertinent et le plus compréhensif afin que ces modèles  puissent être utilisés par les planificateurs et les décideurs politiques.

Ces nouvelles simulations demandent énormément de puissance de calcul, votre participation via le calcul partagé est donc encore plus prépondérante. L'équipe de recherche vous remercie de votre soutien et de votre contribution continue

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Cet article est une traduction du message posté par Valerie Crowell sur le forum du projet Malariacontrol.net.

Valerie Crowell est Docteure en Economie de la santé à l'Institut Tropical et de Santé Publique Suisse.