8 novembre 2007 Par Seth Shostak |
C'est une tentative risquée qui coûte cher et pourrait ne jamais aboutir. Cela vaut-il vraiment le coup de chercher des créatures intelligentes sur des planètes inconnues ? Après tout, n'y a-t-il pas de meilleures manières de dépenser notre argent et de valoriser nos prouesses techniques que de chercher quelque chose qui n'est même pas certain d'exister: des êtres intelligents dans les profondeurs de l'espace?
Voici une question que l'on retrouve plus souvent que ses clefs de voiture. "Pourquoi mes précieux euros devraient ils servir à la recherche d'intelligence extra-terrestre alors qu'il y a tant de souffrances sur Terre?"
Elle mérite une réponse.
Pour commencer, permettez moi d'éclaircir un petit malentendu technique. Comme de nombreux lecteurs le savent, SETI n'est pas financé par vos impôts. Tout au moins si vous habitez aux États-Unis (là où la plupart des recherches d'intelligences extra-terrestres sont menées). Depuis 1993, lorsque le Congrès américain mis fin au programme SETI de la NASA, la recherche de signaux en provenances d'autres civilisations n'a été financée que par des donations privées. En toute franchise, même avant cette date, le montant des impôts affectés à SETI n'était que de l'ordre de 3 cents par an et par habitant. Mais ne rentrons pas dans la controverse de savoir si c'était une lourde charge ou non, le fait est que c'est actuellement zéro. Si vous ne souhaitez pas contribuer à SETI, cela ne vous coûtera rien.
Malgré ce, cette simple vérité ne fait pas taire les critiques. Ils regardent ceux qui donnent à SETI et se demandent ouvertement pourquoi ces gens là ne signent-ils pas des chèques à la recherche médicale, à l'aide au développement ou à d'autres programmes humanitaires. En d'autres termes, l'argument des détracteurs est que nous ne devrions soutenir financièrement que les causes soutenues moralement par la collectivité.
Et bien historiquement, cela n'a jamais été le cas, et cela ne devrait jamais l'être.
Un regard rapide sur l'histoire nous montre que, même aux époques où les gens mourraient de faim dans les rues, une fraction des ressources de toute nation civilisée a été affectée à la découverte ou à la création de choses nouvelles. Les donateurs et mécènes utiliseront toujours une partie de leur argent pour des activités qui, lorsqu'on les jauge à leur niveau le plus terre-à-terre, le plus basique, sont "sans intérêt pour la société". Ils font cela pour de nombreuses raisons : redorer leur image, l'amour des ballets Bulgares, ou peut-être le simple désir de sauver les loutres d'eau douce. Mais là n'est pas le problème. Si vous donnez de l'argent à l'association locale contre les maladies cardiaques, c'est peut-être pour assouvir un désir altruiste. Ou bien, tout au fond de vous, vous pensez peut-être que ça pourra vous aider un jour, vous ou votre famille. Dans tous les cas, c'est une bonne chose d'un point de vue social.
Oui, mais le concept de "bon" n'est il pas que relatif ? Ne devrait on pas faire une estimation coût/bénéfice en pareil cas ? Les philanthropes ne devraient-ils pas choisir le projet le plus efficace en terme d'avancée sociale ? Cela peut sembler juste, mais même en écartant les problèmes de liberté de penser, cet argument ne peut mener qu'à d'obscurs affrontements sur ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Et parfois, ce qui n'est pas important aujourd'hui peut se révéler important demain.
Prenons quelques exemples. En Italie, au début du XVII ème siècle, Ferdinand 1er et Cosme II de Médicis soutinrent par une rente régulière un ambitieux universitaire de Padoue, Galilée. Ce type trouva des taches sur le soleil et des lunes autour de Jupiter. Ils auraient pu acheter de nombreux repas avec cet argent à la place. Mais l'œuvre de Galilée renversa notre perception du monde en montrant que Copernic avait raison. Pour ma part, je suis heureux qu'il les ait obtenu, ces florins.
Deux cents ans plus tard, l'empereur Joseph II d'Autriche trouva un peu d'argent pour financer Wolfgang Mozart. Fut-ce là une bonne idée ? Mozart ne faisait qu'écrire de la musique, bon sang! On ne peut pas la manger, la musique (à moins d'être une chèvre). Mais moi je peux m'en repaître, et je le fais.
Il y eut également des programme analogues à SETI dans les premières années du XX ème siècle: de multiples tentatives pour percer le cœur de l'Antarctique et atteindre le Pôle Sud. Les principaux protagonistes de cette aventure fatale au bout du monde – Shackleton, Scott et Amundsen – s'investirent pour les mêmes raisons que quiconque ayant de l'ambition: progresser dans sa carrière, gloire, aventure, ou tout simplement pour prouver qu'ils étaient du bois dont sont fait les héros. Mais nous ne sommes pas là pour parler de leurs motivations, mais pour nous demander pourquoi quelqu'un aurait l'idée de financer des types pareils. Tous trois étaient aidés par des particuliers. James Caird, un riche tisserand de Dundee (Écosse), donna à Shackleton un gros tas de pièces; le magna de l'acier William Beardmore finança Scott lors de sa première expédition; et Lincoln Ellsworth, le fils d'un industriel américain, signa des chèques pour Amundsen.
Il n'y a pas de mystère dans ce qui poussa ces individus à envoyer des explorateurs vers des contrées qui n'offraient que des engelures et un peu de fierté nationale en retour. Ils n'y étaient que pour gonfler leur image - pour la célébrité qu'ils partageraient si leurs poulains ramenaient le trophée (seul Beardmore semblait avoir espéré en tirer un profit financier). Mais ces mécènes, comme leurs protégés, étaient aussi poussés par la curiosité - un intérêt inhérent dans l'exploration, la découverte de l'inconnu. Ils voulaient savoir ce qu'il y avait de l'autre côté ... Pour ces gens là - ceux qui ne pouvaient pas transgresser les frontières eux-mêmes - c'était de l'exploration par procuration.
La motivation, peut-être de manière trop évidente, n'est pas forcément celle d'un retour sur investissement. Mais elle n'est pas non plus toujours la découverte de nouveaux médicaments, de nouveaux produits, ou même l'allègement des souffrances. Comme Richard Feynman le disait en parlant de la physique :"C'est comme le sexe. Bien sûr, cela peut aboutir à quelques résultats concrets, mais ce n'est pas pour ça que nous le faisons."
Et pour tout dire, je pense qu'il en est de même dans notre quête d'un signal en provenance des étoiles. Ceux qui soutiennent SETI ne mettent pas leur butin sur la table dans l'espoir d'obtenir un avantage commercial ou national. Ils n'espèrent pas que nous saurons porter la bonne parole à E-T ni ne s'imaginent s'auto-congratuler bruyamment si nous les trouvons. Et bien qu'il y ait toujours la possibilité que nous apprenions des choses merveilleuses d'une transmission interstellaire, SETI s'adresse à un besoin humain essentiel, même sans cette carotte - la recherche du savoir. Ou plus précisément: la reconnaissance de notre place dans l'univers. Qu'elle est notre rôle dans l'énorme tapisserie culturelle dont nous soupçonnons l'existence, et dont les fils s'entrelacent le long du champs stellaire de notre galaxie ?
Sommes nous vraiment biologiquement ou intellectuellement à part ? Un petit sifflement sur la radio cosmique pourrait répondre à cette question. Même si cette découverte fait se dégonfler notre ego, il n'en reste pas moins que ce serait incroyablement intéressant d'en avoir le coeur net. L'ignorance n'est pas une bénédiction; ce n'est que de l'ignorance. Quand Copernic défendit l'idée que notre vision d'un univers centré sur la Terre était biaisée et fausse, il démolit une porte dans une maison poussiéreuse. SETI pourrait faire exploser toutes les fenêtres de cette maison.
Comme le technologue Paul Allen l'a dit en mettant en service les premiers éléments du nouveau télescope qui porte son nom "J'aime appeler SETI la plus outrée des propositions. Mais si ce réseau [de télescopes] détecte un signal, ce serait absolument incroyable - un événement capable de changer toute notre civilisation".
Vous serez bien d'accord avec moi pour dire que ça en vaut la peine.