GIMPS
Le mathématicien et moine français Marin Mersenne Un vent de folie souffle actuellement autour du projet GIMPS (Great Internet Mersenne Prime Search). Après 2 ans sans aucune découverte, le projet vient d'annoncer coup sur coup la découverte des 45 et 46 ème nombres premiers de Mersenne, soit les deux plus grands nombres premiers jamais découvert.

Le 23 Août 2008, un ordinateur reportait au serveur du projet la découverte d'un nouveau nombre premier de Mersenne. Les vérifications de ce nombre ont commencé le 26 août, et trois ordinateurs avec des configurations différentes ont confirmé cette découverte.

De façon à peine croyable, le 6 septembre, un nouvel ordinateur rapportait la découverte d'un nouveau nombre premier de Mersenne !! Deux vérifications indépendantes ont confirmé cette découverte (la troisième confirmation est en cours).

Le plus étonnant est que cela faisait 2 ans, que le projet GIMPS restait bredouille. Le 44ème nombre de Mersenne premier, découvert le 4 septembre 2006, avait échoué à quelques encablures des 10 millions de chiffres (9.808.358 chiffres).

Les noms des découvreurs n'ont pas encore été divulgués. La seule chose que l'on peut dire c'est que l'un des deux découvreurs est allemand.

Les administrateurs du projet GIMPS travaillent actuellement sur la rédaction d'un communiqué de presse pour annoncer la découverte de ces deux nombres premiers de plus de 10 millions de chiffres. Plus de détails seront communiqués au cours de la prochaine semaine.


Le projet GIMPS

GIMPS est le père de tous les logiciels de calcul distribué puisqu'il a été lancé en 1996, soit 3 ans avant SETI@home. Il s’agit certainement aussi de la loterie la plus étrange de l'Internet à laquelle participent depuis des années des internautes passionnés de mathématiques. Après avoir installé le logiciel du projet, le serveur attribue à votre ordinateur un nombre premier p à huit chiffres. Comme chaque nombre premier, celui-ci n’est divisible que par un et lui-même. Le programme calcule alors le nombre 2p - 1 et vérifie s’il s’agit également d’un nombre premier. C’est extrêmement laborieux : Même un PC moderne est occupé pendant des jours (voire des semaines) avec de tels calculs.

Le nombre premier à huit chiffres que l’on vous donne à vérifier en tant que participant au projet Gimps est attribué au hasard. Quelqu’un qui a beaucoup de chance et qui découvre un nouveau nombre premier peut gagner 100 000 dollars. C’est la somme que l'Electronic Frontier Foundation (EFF) offre pour la découverte du premier nombre premier ayant au moins dix millions de chiffres.  (l'Electronic Frontier Foundation est une organisation non gouvernementale internationale à but non lucratif, fondée en 1990 aux États-Unis par Mitch Kapor, John Gilmore, et John Perry Barlow, connu pour être l'auteur de la Déclaration d'indépendance du cyberespace. L'objectif essentiel de l'EFF est de défendre la liberté d'expression sur Internet).

La répartition de la récompense devrait se faire de la manière suivante :
50.000 $ iront au découvreur du premier nombre non divisible de plus de 10 millions de chiffres
5.000 $ seront attribués au projet GIMPS pour couvrir les frais et préparer les recherches futures (dans l'optique de la découverte d'un nombre premier de plus de 100 millions de chiffres, dont la récompense est fixée à 150.000 $)
25.000 $ iront à George Woltman, le fondateur du projet GIMPS
3.333 $ seront attribués à chacune des personnes qui ont découvert un des 6 derniers nombres de Mersenne premier sur GIMPS (Michael Cameron, Michael Shafer, Josh Findley, Dr. Martin Nowak, Curtis Cooper et Steven Boone)

George Woltman, le créateur du projet GIMPS explique que "bien que nous pensons avoir bien compris la loi d'apparition et la distribution des Nombres de Mersenne Premiers, cela n'a pas été prouvé rigoureusement. En trouver un nouveau ajoute 'une nouvelle pièce au puzzle' qui nous permet de confirmer nos théories". Il note que par le passé la recherche de Nombres de Mersenne Premiers a apporté des améliorations importantes de la méthode de "Transformée de Fourier Rapide" (FFT), qui est utilisée dans de nombreuses applications (y compris par le projet SETI@home), et que cela a permis également de découvrir des erreurs dans les composants des ordinateurs grâce à des tests de stress draconiens. "Le projet est aussi un bon moyen pour amener les jeunes participants du GIMPS à s'intéresser aux Mathématiques".

Difficile d’avoir des certitudes

Les nombres premiers de Mersenne peuvent être représentés par la formule 2p - 1, où l’exposant p est également un nombre premier. Ce sont eux qui intéressent particulièrement les mathématiciens, car les nombres premiers de Mersenne disposent d’un avantage décisif : Ils sont relativement faciles à trouver (par rapport aux autres types de nombres premiers)

Tout le monde connaît depuis son passage sur les bancs de l'Ecole les nombres premiers à un ou deux chiffres, tels que 3, 5, 7 et 11. La recherche de grands nombres premiers avec des centaines, des milliers ou des millions de chiffres est nettement plus difficile. Cela vient du fait que les grands nombres ne portent tout simplement pas leur diviseurs - une situation fâcheuse, pas seulement pour les mathématiciens.  

"Il existe une procédure relativement efficace pour vérifier si un nombre de Mersenne est premier ou non", explique Florian Hess, mathématicien à l’université technique de Berlin. Pour d’autres nombres, choisis au hasard, le problème est nettement plus difficile. On ne peut alors plus déterminer en quelques jours de calcul - comme c’est habituel pour les nombres de Mersenne - si le nombre a d’autres diviseurs qu’un et lui-même.  


Sécurité et puissance de calcul

Les nombres premiers fascinent l'humanité depuis des millénaires. Toutefois, et seulement depuis la naissance de la société informatisée, il n'existe réellement qu'une seule application possible. Les nombres premiers jouent un rôle prépondérant dans le codage des données. C'est ce qu'on appelle communément le code RSA utilisé, par exemple, par les banques pour crypter les communications internet. RSA utilise le fait qu'un grand nombre ne peut être divisé qu'au prix d'un énorme effort.
 
Le fonctionnement du code RSA n'est pas compliqué à comprendre. La banque va multiplier deux nombres premiers de 150, voire mieux, de 300 chiffres. Cette multiplication va produire une clé publique avec laquelle le client de la banque va pouvoir envoyer des données au serveur de la banque. Cette clé ne concerne que le navigateur internet. "90% de toutes les applications de sécurité sur Internet reposent sur ce processus" explique le mathématicien berlinois Florian Hess. Pour déchiffrer cette clé, il faut connaître les deux nombres premiers (que la banque doit garder secret) ou disposer d'un parc d'ordinateurs gigantesque.
 
La sécurité de cette forme de cryptographie repose exclusivement sur le fait qu'il faudrait énormément de puissance et de temps de calcul pour réussir à pirater la clé. Comme les ordinateurs sont de plus en plus puissants, les nombres premiers utilisés pour crypter les données doivent être toujours plus grands. C'est pourquoi, la recherche très théorique de nombres premiers revêt de plus en plus un intérêt purement pratique.


"L'un des plus grands problèmes non résolus des mathématiques"

Les deux nouveaux nombres premiers récemment découverts rendent-ils les échanges sur Internet moins sûrs ? Non, telle est la réponse de Günter Ziegler, président de l’Association Allemande de Mathématiciens. "Le record actuel ne met pas en danger la sécurité des données sur Internet", explique-t-il. La raison réside dans la particularité des nombres de Mersenne décrite précedemment : Un ordinateur peut vérifier assez rapidement s’ils sont premiers ou non. Ce n’est pas le cas pour d’autres nombres, utilisés par les banques.  

Au cours des derniers siècles, les mathématiciens ont déjà pu répondre à certaines grandes questions relatives aux nombres premiers. Ainsi, par exemple, à la question sur la quantité de nombres premiers existants, ils répondent qu'il en existe un nombre infini.  

La démonstration est simple : Admettons qu’il n’y ait qu’un nombre fini de nombres premiers p1, p2, p3, ... pn. Ensuite, multiplions tous ces n nombre premiers entre eux et ajoutons 1. Le résultat est un nombre divisible par aucun des n nombres premiers. Il ne pourra donc s’agir que d’un nouveau nombre premier ou du produit d’au moins deux nouveaux nombres premiers. L’hypothèse d’une quantité finie de nombres premiers est ainsi réfutée.  

Un autre problème, jusqu’à présent irrésolu et dans lequel interviennent des nombres premiers, est ladite hypothèse de Riemann. Il y a plus de 150 ans, le mathématicien allemand Bernhard Riemann a émis l’hypothèse selon laquelle les zéros non triviaux de ladite fonction zêta de Riemann sont situés sur une droite. "Cette fonction peut être définie à l’aide de nombres premiers", explique Florian Hess de l’université technique de Berlin. La conjecture de Riemann aurait déjà été prouvée à l’aide d’ordinateurs pour des millions de zéros, mais la preuve finale reste encore à apporter. Hess ajoute "qu'il s’agit d’un des plus grands problèmes irrésolus des mathématiques".  Sa résolution constiturait en quelque sorte le Graal des mathématiciens, puisqu'il reviendrait à comprendre le mystère de la répartition des nombres premiers.

Sa solution présenterait également un intérêt énorme car la fonction zêta permet d’évaluer les temps de fonctionnement d’algorithmes - ce qui est d’une grande aide pour les calculs complexes. Celui qui démontrera la conjecture de Riemann ne sera pas seulement célèbre, mais aussi riche. L’institut Clay Mathematics offre une récompense d’un million de dollars pour quiconque arrivera à le démontrer.

Par rapport à cela, la recherche de nombres premiers de plus en plus grands est mal payée - par contre, le vainqueur n’a pas à se creuser la tête : le travail est effectué par le logiciel Gimps.  


Pour plus d'information sur les Nombres de Mersenne Premiers

Les nombres premiers fascinent les mathématiciens amateurs et professionnels depuis longtemps. Un entier plus grand que 1 est appelé nombre premier si et seulement si ses seuls diviseurs sont 1 et lui-même. Les premiers nombres premiers sont : 2, 3, 5, 7, 11, etc. Par exemple, le nombre 10 n'est pas premier car il est divisible par 2 et par 5. Un Nombre de Mersenne Premier est de la forme 2p-1 , où p est premier. Les premiers Nombres de Mersenne Premiers sont : 3, 7, 31, et 127 , générés par p = 2, 3, 5, et 7. Avant les deux découvertes réalisées ces dernières semaines, il n'y avait que 44 nombres de Mersenne connus

Les Nombres de Mersenne Premiers sont une importante composante de la branche des Mathématiques appelée Théorie des Nombres depuis qu'ils ont été décrits et étudiés par Euclide en 350 avant JC. L'homme qui leur a donné son nom, le moine Français Marin Mersenne (1588-1648), a formulé une conjecture célèbre concernant les valeurs de p qui donneraient un nombre premier. Il aura fallut 300 ans et d'importantes découvertes Mathématiques pour confirmer cette conjecture.

Les quatre premiers nombres premiers de Mersenne étaient connus dès l'Antiquité. Le cinquième (213-1) a été découvert en 1456 par un inconnu. Les deux suivants ont été trouvés par le mathématicien italien Cataldi en 1588. Plus d'un siècle plus tard, en 1750, le mathématicien suisse Euler en trouva encore un. Le suivant dans l'ordre chronologique (mais non numérique) a été trouvé par le français Lucas en 1876, puis un par le mathématicien russe Pervushin en 1883. Deux autres ont été trouvés au début du XXe siècle par Powers en 1911 et en 1914.

La recherche des nombres premiers de Mersenne fut ensuite révolutionnée par l'introduction des calculateurs électroniques. La première identification d'un nombre de Mersenne par ce moyen eut lieu à 22 heures le 30 janvier 1952 par un ordinateur SWAC à l'Institut d'Analyse Numérique (Institute for Numerical Analysis) du campus de Université de Californie - Los Angeles, sous la direction de Derrick Lehmer, avec un programme écrit par R.M. Robinson.

C'était le premier nombre premier de Mersenne identifié depuis 38 ans. Le suivant fut trouvé moins de deux heures plus tard par le même ordinateur, qui en trouva trois de plus dans les mois suivants.

Les précédentes découvertes de Nombres de Mersenne Premiers ont toute été réalisées grâce au logiciel de calcul partagé GIMPS :

Numéro Date de la découverte Nombre Chiffres Temps de calcul Processeur Découvreur
46ème 6 Sept. 2008 ? ? ? ?
45ème 23 Août 2008 ? ? ? ?
44ème 4 Sept. 2006 232.582.657-1 9.808.358 - - Curtis Cooper et Steven Boone Université Centrale de l'Etat du Missouri (Etats-Unis d'Amérique) - parc de 700 PC
43ème 15 Déc. 2005 230.402.457-1 9.152.052 50 jours
-
Curtis Cooper et Steven Boone Université Centrale de l'Etat du Missouri (Etats-Unis d'Amérique) - parc de 700 PC
42ème 18 Fév. 2005 225.964.951-1 7.816.230 50 jours P IV à 2,4 Ghz Docteur Martin Nowak Allemagne
41ème 15 Mai 2004 224.036.583-1 7.235.733 14 jours P IV à 2,4 Ghz - Windows XP Josh Findley Etats-Unis d'Amérique
40ème 17 Nov 2003 220.996.011-1 6.320.430 19 jours P IV à 2 Ghz
Dell Dimension
Michael Shafer
(26 ans)
Etats-Unis d'Amérique
39ème 14 Nov. 2001 213.466.917-1 4.053.946 45 jours AMD T-Bird à 800 Mhz Michael Cameron (20 ans) Canada
38ème 1er Juin 1999 26.972.593-1 2.098.960 111 jours P II à 350 mhz Nayan Hajratwala Etats-Unis d'Amérique
37ème 27 Jan 1998 23.052.377-1 909.526 46 jours P I à 200 mhz Roland Clarkson Etas-Unis d'Amérique
36ème 24 Août 1997 22.976.221-1 895.932 15 jours P I à 100 mhz Gordon Spence Royaume-Uni
35ème 13 Nov. 1996 21.398.269-1 - 88 heures P I à 90 mhz Joël Armengaud France

Les algorithmes de calcul utilisés par le projet GIMPS ont une histoire très particulière. Les programmes qui ont trouvé les récents nombres de Mersenne premiers sont basés sur un algorithme spécifique. Au début des années 1990, Richard Crandall, un scientifique distingué travaillant chez Apple, a découvert le moyen de multiplier par deux la vitesse de calcul de ce qui est appelé "convolutions" -- en fait d'énormes multiplications. La méthode ne s'applique pas seulement à la recherche de nombres premiers mais aussi à d'autres domaines de l'art du calcul par ordinateur. Pendant ses travaux, il a aussi breveté le système "Encryptage Elliptique Rapide", maintenant détenu par "Apple Computer", qui utilise les Nombres de Mersenne Premiers pour encrypter et décrypter rapidement les messages. George Woltman a implémenté l'algorithme de Crandall en assembleur Intel ia32, ce qui a produit un programme de recherche de nombres premiers d'une efficacité sans précédent, d'où est issu l'actuel projet GIMPS.

Des enseignants de classes du Collège jusqu'au Lycée ont utilisé le projet GIMPS comme moyen pour faire aimer les Mathématiques à leurs étudiants. Les étudiants qui font tourner ce logiciel libre contribuent à la recherche en Mathématiques.

Historiquement, la recherche de Nombres de Mersenne Premiers a été utilisée comme un test exigeant pour les composants matériels des ordinateurs. Le programme libre du GIMPS a permis de découvrir des problèmes matériels cachés dans de nombreux PCs.

Sources :
- Zwei neue Rekord-Primzahlen entdekt : Der spiegel online
- Nombre premier de Mersenne : Wikipédia
- Great Internet Mersenne Prime Search (GIMPS)